Petit journal des sources et de la Joie de vivre

Pouvoirs et responsabilités de la parole

Imaginons un détecteur de secousses sismiques qui, au lieu d’enregistrer les vibrations de l’écorce terrestre, s’appliquerait au langage humain. Il serait conçu pour enregistrer les secousses psychologiques produites par les paroles que nous échangeons quotidiennement. En se déplaçant, l’aiguille de ce détecteur révélerait ce que le destinataire d’un message ressent lorsqu’il reçoit ce message.

Mettons cet appareil en marche. Promenons-le sur l’immense champ des paroles qui s’échangent au sein des familles, entre amis, entre voisins, entre collègues de travail, dans les lieux publics… Surprise: l’aiguille est presque toujours en mouvement. Il n’y a quasiment pas de phrase qui ne produise chez son destinataire une vibration. Toute parole a un impact émotionnel. Elle est éprouvée comme agréable ou désagréable. Elle cause de la joie ou de la peine. Elle amuse, irrite, flatte, inquiète, apaise, attendrit, console, déçoit, attriste, encourage, décourage et parfois même, blesse ou tue…

Dès l’instant où je m’adresse à autrui, fut-ce pour prononcer une banale formule de politesse, j’assume donc une responsabilité. Je suis responsable de l’impact psychologique de mes paroles, de leur caractère bienfaisant ou toxique. Or qui dit responsabilité dit éthique.

Jusqu’à présent, la philosophie envisageait l’éthique du seul point de vue de l’action. Elle évaluait la conduite humaine à l’aune de l’agir. Que fais-tu pour les autres ? Quels sont tes engagements, tes sacrifices, tes actes de solidarité ? De Kant à Sartre, ces questions ont accaparé toute l’attention.

Pourtant, il est clair qu’elles ne recouvrent qu’une partie de la morale. Car nous ne sommes pas seulement des sujets agissants : nous sommes aussi des sujets parlants. Nous sommes des êtres de langage. Le monde humain est tissé de nos mots autant que de nos actions. Par suite, le bien et le mal ne proviennent pas uniquement de ce que nous faisons les uns aux autres, mais aussi de ce que nous disons.

C’est pourquoi, lorsque, à l’aide de notre détecteur de vibrations, nous aurons fini d’explorer le vaste domaine de ce que psychologues et linguistes appellent fort justement les « interactions verbales », il faudra tirer de nos observations une règle de vie, c’est-à-dire une éthique. Une éthique qui enseignera comment il faut se parler. Une éthique de la parole.

Dans Figaro-Magazine – Novembre 2009 – Michel Lacroix, Philosophe.

A publié récemment « Se réaliser. Petite philosophie de l épanouissement personnel » Ed. R. Laffont.

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