L’amour qui sauve…
Lorsqu’on est malade, l’amour qui sauve, c’est aussi celui que vous donnent ceux pour qui vous n’êtes qu’un inconnu. Celui des femmes qui vous soignent : Aides-soignantes, assistantes, infirmières (IED : Infirmières Diplômées d’Etat).
Il y a celles qui ne vous prodiguent que des soins strictement pratiques : entretien et toilette. Elles assistent les autres, celles qui président à la bonne marche des choses et assurent le vrai suivi, le plus délicat et le plus sensible. Je ne fais entre elles aucune différence de grade. Pour moi elles sont toutes égales, c’est-à-dire supérieures. Je ne sais rien, elles savent tout. Elles sont supérieures à toutes les autres femmes qui se déplacent et s’activent au même instant dehors, dans la ville, la rue, les bureaux, les magasins, les ateliers, dans cette ville à laquelle je ne pense pas.
Des femmes aux prénoms de tous les jours, aux visages de tous les jours, mais qui sont devenus les visages les plus importants de cette matière fragile, impermanente, qu’est le déroulement, seconde par seconde, de la vie…
Je les entends parfois, telles des indicatrices, des conductrices, des contrôleuses :
« Respirez plus lentement. Reprenez votre rythme. Ne vous agitez pas »…
Un jour les mots qu’elles prononcent me reviennent comme un des plus beaux exemples de l’Intelligence que possèdent ces femmes. Une phrase juste, prononcée sur un ton pédagogique, persuasif et néanmoins tolérant, qui va momentanément me décrisper. Je coopère mieux…
Lorsqu’au milieu des machines, lorsqu’au creux de ce mal, j’ai entendu leur avis : « Tout allait bien », j’ai ressenti un immense amour pour ces femmes.
Je voulais le leur dire, le leur faire savoir. Leur exprimer ma gratitude pour leur endurance, la netteté de leurs gestes, leur économie d’action, leur souci de respecter les consignes, et ce malgré la lassitude, la probable exaspération ou la connaissance résignée de la répétitivité de leurs existences.
Pour elles c’est toujours compliqué, même quand elles savent, même quand elles sont là depuis longtemps. Elles ne doivent commettre aucune erreur, aucune inattention, aucune négligence. Le sens que j’attribue à leurs gestes est la seule chose qui compte. Je les reçois comme on reçoit l’Amour, le vrai, celui qui se prouve.
Extrait de « La traversée » – Philippe Labro.