Le yin – Le yang – Le Tao
François Cheng, né en Chine en 1929, vit en France depuis 1948. Il vient de publier un recueil de poèmes, le « Livre du vide médian » (Albin Michel), et « Toute beauté est singulière » (Phébus), un beau livre sur les peintres excentriques chinois.
Le Souffle est à la base de la pensée chinoise. Le « souffle primordial » anime toutes choses et les relie en un gigantesque réseau d’engendrement et de circulation appelé le TAO. Tout se relie et tout se tient. Selon le Taoïsme, chaque être est marqué, à différents degrés, par le yin ou le yang, deux souffles complémentaires qui dérivent du souffle primordial. Le yang incarne la puissance active, et le yin la douceur réceptive, le principe féminin.
Lorsque deux personnes entrent dans un échange positif, il y a, jailli d’entre eux, un troisième souffle qui agit. Nous l’appelons le souffle du « vide médian ». On peut dire que ce terme désigne ce qui se passe entre les êtres lorsque ceux-ci acceptent de rechercher le vrai et le beau ensemble. Le souffle du « vide médian » nous entraîne dans une interaction féconde, et par suite dans une transformation mutuelle, bénéfique pour chacun d’entre nous.
En Occident, la seule préoccupation est de préserver son Moi et de « se réaliser ». Il s’agit là d’un concept très pauvre. L’amour réduit au « chacun pour soi » ne peut pas durer. Il se stérilise lui-même.
Pour la pensée chinoise, l’accomplissement n’existe pas « en soi » mais « en avant de soi ».
Tout ce qu’engendre l’échange entre deux êtres n’est pas du vent ou de la fumée, mais un instant précieux, fécond et rare, irremplaçable.
Recherchons donc le vrai et le beau ensemble…
Selon la pensée chinoise, le vide médian est un Trois qui naît du Deux… Et qui, drainant la meilleure part du Deux, permet au Deux de se dépasser. La beauté ne se réalise vraiment que lorsque le Trois surgit de l’échange entre deux êtres. Les penseurs chinois comme Lao Tseu ou même Confucius ont eu l’intuition que toute pensée vibrante est ternaire.
Ce qui surgit entre les êtres, chaque personne étant unique, est toujours fait d’inattendu et d’inespéré, donc toujours neuf. Chaque matin en me levant, voyant le même arbre, selon les lumières et les saisons, je le découvre autre, comme si je le regardais pour la première fois. La beauté la plus évidente ne peut être connue : elle demeure indéfiniment à découvrir. Le souffle du vide médian, en son action la plus élevée, fait apparaître à chaque fois la vie, comme au matin du monde.
La beauté ne se réalise vraiment qu’à travers un souffle – le vide médian – qui surgit de l’échange entre deux êtres.
Extrait de la Revue La Vie – janvier 2005