La beauté nous sauve-t-elle ?
Lorsque je ressens une émotion esthétique devant un incroyable paysage de cimes enneigées, en écoutant un chanteur de charme ou en contemplant un monochrome au musée, je ne comprends pas pourquoi cela est beau. Cela ne me dérange pas. Il s’agit de découvrir que l’on peut aimer les choses sans les comprendre ; on peut contempler les choses sans vouloir les posséder ou les expliquer.
Là se situe l’émotion esthétique. Il s’agit de l’apprentissage du fait d’être capable d’aimer ce que l’on ne comprend pas, d’aimer ce qui est mystérieux. C’est sagesse d’être ouvert à cette émotion. Cela nous grandit et nous agrandit intérieurement. On cesse de se réduire, de se simplifier. Il convient de s’ouvrir enfin à sa propre complexité, à sa propre ambivalence et au mystère même du monde. Cela explique en partie l’idée que la Beauté peut nous sauver.
De quoi la Beauté nous sauve-t-elle ?
Elle nous sauve de l’incapacité à s’écouter. Lorsque je dis que cela est beau, c’est moi-même que j’écoute enfin !
La Beauté nous sauve de la crispation identitaire et de la réduction identitaire.
Elle m’aide à m’accueillir dans ma complexité et ma multiplicité.
Elle nous sauve de la passion de vouloir tout expliquer et comprendre. Elle nous apprend à accueillir les mystères.
Elle nous sauve, enfin, de l’ironie – maladie de notre temps qui frôle le mépris ! Tout le monde est désormais ironique. Dans chaque émission de télé ou de radio, on retrouve un plaisantin, présent pour créer de la distance. Or, la vie n’est pas l’ironie. La vie consiste à retrouver des moments de pleine présence. L’émotion esthétique correspond à cette présence. Lorsque je suis fasciné par la Beauté, la présence de celle-ci me rend enfin moi-même pleinement présent au monde. Cela procure un énorme Bien.
D’après Charles Pépin, philosophe (Revue Le Rotarien – mars 2014)